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Dématérialisation des services (publics)

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Faut-il bannir le terme “dématérialisation” et le remplacer par une formule telle que « industrialisation du stockage et du calcul des données administratives (des services publics) » :?: :?: :?:

Pour commencer, il serait déjà plus correct de parler de “numérisation” – ou plus simplement “informatisation” – des services publics, car passer par le numérique et l’internet est en fait tout le contraire d’une prétendue “dématérialisation” :!: On peut affirmer que la “dématérialisation” est un mensonge qu’il convient de dénoncer… Continuer à utiliser le terme “dématérialisation” participe également à la propagation d’une idéologie fallacieuse ! En effet, comme le souligne fort à propos Celia Izoard dans la postface de la réédition de l’ouvrage « La Machine est ton seigneur et ton maître », publié chez Agone en mai 2022 :

La Machine est ton seigneur et ton maître

Enfin, l’occultation de la production, reflétée de manière emblématique de l’électronique derrière le « numérique », revêt une puissante fonction idéologique. Depuis les années 1990, elle façonne l’imaginaire et le quotidien des habitants des pays riches et joue un rôle déterminant dans le plébiscite de la « société numérique », fondée sur le déni de ses prédations humaines et environnementales. Pour désigner l’informatisation d’un service, par exemple administratif, on continue ainsi à employer le terme « dématérialiser » alors même que cette opération consiste le plus souvent à remplacer des opérations effectuées par des êtres humains, à l’aide de quelques accessoires et de liasses de papier, par un appareillage nécessitant ordinateurs, serveurs, scanners, câbles, réseaux d’antennes et de fibres optiques ainsi que des centres de données toujours plus gigantesques et énergivores.

La Machine est ton seigneur et ton maître, chapitre « La fantasmagorie numérique » de la postface de Celia Izoard, Agone 2022, page 91


Dans le chapitre « Dématérialisation – Le numérique est-il un paradis virtuel ou un bagne industriel ? » du livre du collectif AtÉcoPol, intitulé « Greenwashing – Manuel pour dépolluer le débat public », publié en mars 2022 au Seuil dans la collection Anthropocène, Celia Izoard et son co-auteur Aurélien Berlan nous avaient gratifiés d’une intéressante analyse de la question :

En quoi consiste alors la « dématérialisation » d’une activité, d’un service, d’une procédure administrative ? Là où il lui suffisait de se rendre dans le commerce ou le service en question, l’usager doit désormais disposer de toutes sortes de machines connectées à un immense réseau. En termes de consommation de ressources et d’énergie, la prestation est infiniment plus « matérielle » que celle qu’assurait le service incarné par le commerçant ou le fonctionnaire. Elle n’a pas été dématérialisée, mais automatisée et déshumanisée : les personnes qui s’en chargeaient ont été licenciées, remplacées par des machines.

En parlant de numérique et non d’électronique, de cloud et non de réseau mondial de stockage et de traitement des données, d’intelligence artificielle et non de supercalculateur, on occulte la matérialité du monde numérique. Mais si cette dernière est difficile à appréhender, cela tient aussi à l’ampleur de l’infrastructure technologique requise, si vaste qu’elle est difficile à embrasser par l’imagination, ainsi qu’à notre méconnaissance des procédés de production de nos gadgets électroniques. Tout cela contribue à donner un vernis de vraisemblance aux incitations à faire en ligne ce qu’on peut faire sur papier, afin de « préserver la planète ».

L’insoutenable matérialité du monde numérique

Greenwashing - Manuel pour dépolluer le débat public

[…]
L’infrastructure numérique est loin de se limiter aux ordinateurs. Le câblage des réseaux nécessite des quantités colossales de cuivre, dont la production entraîne des rejets de dioxyde de soufre, d’arsenic et de cadmium. La production mondiale de cuivre en 2015 était cinq fois plus élevée que la production moyenne sur la période 1956-1965. Et cette croissance est d’autant plus accablante que la quantité d’énergie et de déchets miniers qu’elle nécessite ne cesse d’augmenter, du faut de la concentration toujours plus faible de ce métal dans les gisements exploités : s’il fallait 55 tonnes de minerai pour produire une tonne de cuivre dans les années 1930, il en faut aujourd’hui 125.

[…] Et les téraoctets de données ont un destin moins céleste que le suggère l’expression « cloud ». Le data-center Dalles de Google, en Oregon, abrite 100 000 serveurs, occupe une surface équivalente à 11,5 terrains de football, consomme la même puissance électrique qu’une ville française de 100 000 habitants et stocke près de 400 000 litres de fioul pour pallier une éventuelle coupure de courant. Des data-centers de ce type, il y en a des milliers sur la planète et il y en aura de plus en plus. Car l’essor des technologies de l’information permet de stocker, à toutes fins utiles (notamment le profilage des clients et des citoyens), des données qu’on aurait jamais conservées sinon. Il suffit de penser à toutes celles que génère un achat en ligne, comparé à un passage au magasin du coin.

Greenwashing – Manuel pour dépolluer le débat public, chapitre « Dématérialisation – Le numérique est-il un paradis virtuel ou un bagne industriel ? » de Celia Izoard et Aurélien Berlan, Sueil, 2022, pages 88 à 90


Dès lors, pour rendre compte de la réalité des faits, n’est-il pas maintenant grand temps de revoir notre vocabulaire et de bannir le terme “dématérialisation” qui pourrait être remplacé par une formule telle que « industrialisation du stockage et du calcul des données administratives (des services publics) » :?: Cela paraît d’autant plus nécessaire que la problématique du caractère fallacieux de cette prétendue “dématérialisation” par le numérique est connue et documentée depuis plus d’une décennie ! À titre d’exemple, voici un extrait d’un ouvrage publié par le groupe EcoInfo du CNRS en 2012 :

Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication - Les faces cachées de l'immatérialité

De toutes les industries, celle des TIC est de loin la plus gourmande en ressources par unité de production : matériaux, métaux, énergie, eau, produits chimiques. Un exemple frappant : le silicium, matériaux emblématique de l’industrie électronique. La production d’une simple puce électronique pour une barrette de mémoire de 32 bits pesant 2 g nécessite 1 600 g d’énergie fossiles secondaires, 72 g de produits chimiques, 32 000 g d’eau, 700 g de gaz élémentaires (essentiellement N2) ; par ailleurs il faut 160 fois plus d’énergie pour produire du silicium de qualité électronique que dans sa forme basique, c’est le prix de la purification (Williams, 2002a). Bien entendu, depuis cette étude, des progrès ont été réalisés pour réduire la quantité des intrants dans le processus de fabrication du silicium. Mais les produits high-tech connaissent un engouement qui ne se dément pas et tout concourt à leur remplacement le plus rapide possible. Aussi malgré les progrès techniques, devant l’explosion de la demande, la quantité globale de matières premières nécessaire va continuer d’augmenter. C’est le cas du charbon qui fait partie des intrants dans la production du silicium : entre 1998 et 2020 la production mondiale de wafers1) en silicium passera de 24,5 à 133 milliards de cm², ce qui contribuera à l’augmentation de la consommation de charbon de 4,5 à 6,9 milliards de tonnes (Williams, 2003). Cet exemple illustre l’effet rebond, ou comment la progression constante de la demande annihile les avancées technologiques visant à modérer les impacts des produits électroniques.

Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication – Groupe EcoInfo du CNRS, 2012 – Chapitre 1 : Les impacts – 1.1 Épuisement des ressources naturelles – Pages 21 & 22


Et les impacts de la très grande matérialité du numérique sont multiples, avec des consommations énergétiques en croissance perpétuelle, et une consommation d’eau souvent négligée malgré son caractère plus que significatif !… La “dématérialisation” par le numérique est donc assurément le plus grand mensonge de ce début du 21e siècle, mensonge qu’il convient certainement de combattre, et à tout le moins de remplacer par le terme de “numérisation” – voir peut-être mieux pour l’espace francophone, d’informatisation (:?:).

Voici encore quelques livres pour approfondir les connaissances à propos des impacts écologiques et sociaux du numérique, et compléter la réflexion sur le sujet :

L’enfer numérique - Voyage au bout d’un Like

La Numérisation du monde - Un désastre écologique

L’impératif de la sobriété numérique - L’enjeu des modes de vie

Débrancher la 5G ? - Enquête sur une technologie imposée

On achève bien les enfants - Écrans et barbarie numérique

Derrière les écrans - Les nettoyeurs du Web à l'ombre des réseaux sociaux

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1)
Un wafer est un disque fin de silicium ultra-pur monocristallin à partir duquel seront fabriquées les puces électroniques.
numerique_et_enjeux_societaux/les_mots_du_numerique/dematerialisation.txt · Dernière modification : 2023/09/19 08:29 de Un utilisateur non connecté