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La civilisation du poisson rouge - Petit traité sur le marché de l'attention

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Couverture du livre "La civilisation du poisson rouge - Petit traité sur le marché de l'attention"

Caractéristiques
Auteur Bruno Patino
Éditeur Grasset
Collection Essai français
Date de parution 10/04/2019
Langue FR
Nombre de pages 184
Format 13 x 20 cm
EAN 978-2246819295
ISBN 2246819296
Page Web (éditeur) La civilisation du poisson rouge

Couverture du livre "La civilisation du poisson rouge - Petit traité sur le marché de l'attention"

Disponible en livre de poche
Éditeur Lgf
Collection Ldp Documents
Date de parution 01/04/2020
Langue FR
Nombre de pages 168
Format 11 x 17 cm
EAN 978-2253101253
ISBN 2253101257
Page Web (éditeur) La civilisation du poisson rouge
Disponible en livre audio
Un livre audio lu par Bruno Patino
Page Web (éditeur) La civilisation du poisson rouge


Présentation par l'auteur

Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d’attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés.

Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d’exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d’Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. D’après cette étude, mon cas est désespéré, tant ma pratique quotidienne est celle d’une dépendance aux signaux qui encombrent l’écran de mon téléphone. Nous sommes tous sur le chemin de l’addiction : enfants, jeunes, adultes.

Pour ceux qui ont cru à l’utopie numérique, dont je fais partie, le temps des regrets est arrivé. Ainsi de Tim Berners Lee, « l’inventeur  » du web, qui essaie de désormais de créer un contre-Internet pour annihiler sa création première. L’utopie, pourtant, était belle, qui rassemblait, en une communion identique, adeptes de Teilhard de Chardin ou libertaires californiens sous acide.

La servitude numérique est le modèle qu’ont construit les nouveaux empires, sans l’avoir prévu, mais avec une détermination implacable. Au cœur du réacteur, nul déterminisme technologique, mais un projet qui traduit la mutation d’un nouveau capitaliste : l’économie de l’attention. Il s’agit d’augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l’espace, il s’agit d’étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un instantané infini. L’accélération générale a remplacé l’habitude par l’attention, et la satisfaction par l’addiction. Et les algorithmes sont aujourd’hui les machines-outils de cette économie…

Cette économie de l’attention détruit, peu à peu, nos repères. Notre rapport aux médias, à l’espace public, au savoir, à la vérité, à l’information, rien n’échappe à l’économie de l’attention qui préfère les réflexes à la réflexion et les passions à la raison. Les lumières philosophiques s’éteignent au profit des signaux numériques. Le marché de l’attention, c’est la société de la fatigue.

Les regrets, toutefois, ne servent à rien. Le temps du combat est arrivé, non pas pour rejeter la civilisation numérique, mais pour en transformer la nature économique et en faire un projet qui abandonne le cauchemar transhumaniste pour retrouver l’idéal humain…


L'auteur

Bruno Patino est directeur éditorial d'Arte France et dirige l'école de journalisme de Sciences-Po. Il a notamment travaillé pour Le Monde, France Culture et France Télévisions. Spécialiste des médias et des questions numériques, il est l'auteur de « Télévisions », et, avec Jean-François Fogel, de « Une presse sans Gutenberg » et de « La condition numérique ».


Table des matières

  • Chapitre 1 : 9 secondes
  • Chapitre 2 : Addictions
  • Chapitre 3 : Utopie
  • Chapitre 4 : Repentance
  • Chapitre 5 : La matrice
  • Chapitre 6 : L'aiguillage
  • Chapitre 7 : Un jour sans fin
  • Chapitre 8 : Trop de réels tuent de réel
  • Chapitre 9 : Le kaléidoscope asymétrique
  • Chapitre 10 : Le combat inégal de l'information
  • Chapitre 11 : Combattre et guérir


Notes de lecture

150 pages (dans la version du Livre de Poche) pour comprendre pourquoi les écrans numériques des réseaux sociaux nous captivent à un point tel que souvent nous ne pouvons pas nous en éloigner sans éprouver une sensation de manque ! Ce n’est pas un hasard, c’est le résultat de la mise œuvre d’un projet capitaliste : celui de « l’économie de l’attention ». Il est question de capter notre « temps de cerveau » afin de le vendre aux annonceurs de tous poils, quelle que soit la nature des messages que ces derniers souhaitent diffuser… Les algorithmes qui gèrent les messages que nous recevons sont conçus pour mettre la priorité sur les messages à forte charge émotionnelle qui prennent alors le pas sur les informations vérifiées qui sont généralement plus nuancées… Faut-il encore s’étonner de l’envahissement de nos fils d’actualité par les « fake news » sensationnalistes ?

Quels impacts sur les jeunes et les enfants ?

L’auteur nous explique pourquoi l’exposition prolongée des jeunes et des enfants aux écrans et aux interfaces Web des plates-formes numériques peut s’avérer délétère si on y prend garde :

Certaines plates-formes numériques mettent en œuvre des mécanismes similaires [à ceux mis en œuvre dans les casinos], en captant l’attention des utilisateurs par un système de récompenses aléatoires, dont l’effet sur ceux qui y cèdent est comparable à celui des machines à sous. […] Et bien qu’il existe théoriquement une limite d’âge (l’ouverture d’un compte Facebook requiert quinze ans révolus), les plates-formes s’adressent naturellement aux plus jeunes.

Chez les enfants, la capacité à effectuer un choix raisonné qui ne succombe pas à la tentation immédiate n’est pas encore totalement formée. […] Lorsque les sollicitations sont trop nombreuses pendant l’enfance, une certaine fatigue décisionnelle s’installe, et le sujet abandonne la lutte contre le plaisir immédiat que fait naître la réponse à un stimulus électronique, aussi minime soit-il. D’autant que la satisfaction instantanée produit de la dopamine, cette molécule du plaisir, qui envoie un signal court au cerveau primitif et lui donne envie de recommencer. L’addiction est une dépendance à la dopamine.
(Livre de Poche – Pages 32 & 35)

Un jour sans fin où l’on manque de temps ?

Le chapitre 7 de l’ouvrage, tout en étant le plus court, réussi à nous mettre face au miroir de nos journées pour lesquelles nous ressentons tous, peu ou prou, un manque cruel de temps disponible…

Les outils numériques ont généralisé la capacité technique de faire plusieurs choses en même temps. La connexion permanente et la mobilité ont conquis le temps « inutile », dans les transports notamment. Mais le modèle économique de l’attention impose une croissance permanente du temps passé devant l’écran. Alors, telle une principauté qui, pour construire de nouveaux immeubles, doit gagner du terrain sur la mer, il a fallu aux entreprises numériques gagner du temps sur le temps dévolu à d’autres activités, en nous bombardant de sollicitations. […]

L’ensemble des écrans à fini par obéir aux stimuli de l’attention. Les alertes d’information scandent notre vie. Sur YouTube les vidéos s’enchaînent dans un ordre établi par la machine pour maintenir l’utilisateur accro. […]

La sursollicitation de nos sens, le bombardement de stimuli ont fini par sortir du réseau pour atteindre l’ensemble de nos activités. Ce n’est pas illogique : tout le monde se bat pour sa part de temps. […]

Nos propres données sont utilisées contre nous. le désir n’a plus le temps de se construire. Et si par hasard il se précise et s’exprime, il arrive trop toujours trop tard : des centaines de stimuli nous ont assaillis et ont exigé une réponse. Rassasiés avant d’avoir eu faim, nous le sommes par une nourriture que nous n’avons même pas eu le temps de humer et de goûter. « La disruption est ce qui va plus vite que la volonté, individuelle aussi bien que collective », pour reprendre la formule de Bernard Stiegler. Le temps qui nous a été volé est celui du manque, et donc du désir. Celui de l’amour, de l’autre, et de l’absolu.
(Livre de Poche – Pages 79 à 82)

Quelle échappatoire ?

L’auteur reste optimiste et déclare à l’entame du chapitre 11, intitulé « Combattre et guérir » :

Il n’y a pourtant nulle malédiction, l’apocalypse numérique n’est pas amorcée.

Même s’il poursuit d’emblée sur un tableau plutôt pessimiste :

L’époque relaie le récit de la domination absolue des plates-formes, particulièrement de Google et Facebook. Il raconte une toute-puissance qui ne connaîtrait pas de limites ni dans le temps ni dans l’espace. Les GAFAM seraient capables, même involontairement, de changer les processus électoraux, de constituer de nouveaux empires économiques échappant à toute règle territoriale, et de s’imaginer en sociétés souveraines, dialoguant d’égal à égal avec les États, nations et organisations internationales.
(Livre de Poche – Page 129)

Bruno Patino entrouvre cependant la porte vers un avenir « possible » :

Mais « l’état de nature » de ces empires numériques n’a pas à devenir notre état de culture. Nous vivons un moment de fondation, celui d’un ordre nouveau dont l’absence de règles trahit la jeunesse. Une époque qui peut rappeler les débuts du capitalisme industriel à la fin du XIXe siècle et laisse donc ouverte la possibilité de réformes, d’amendements, d’adaptations et de contrôle du modèle.
Il n’est pas écrit que l’économie de l’attention sans freins et sans limites doive rester le seul modèle des plates-formes. Ces sociétés sont encore jeunes, elles grandissent et s’adaptent sans être confrontées à des limites. Les faire changer est possible, tout comme il est possible de poser des limites au modèle publicitaire lié aux données. […]

Il n’est pas non plus écrit que le modèle économique des plates-formes doive dessiner l’ensemble de la société numérique en construction. Le poids économique déraisonnable atteint par les nouveaux oligopoles de l’attention, leur capacité à siphonner des milliards de données en redirigeant leur intelligence autour de notre addiction au temps passé en ligne laissent croire que le traçage individuel est intrinsèquement constitutif de la civilisation digitale. […]

Lutter contre la domination de l’économie de l’attention qui nous plonge dans l’addiction n’est pas un refus de la société numérique. C’est au contraire la réinstaller dans un projet porteur d’utopies, et réinstaurer une perspective de long terme sur le cauchemar de court terme. Rappeler les incroyables potentialités émancipatrices d’un numérique qui permet un accès universel à l’information, au savoir et à l’expression publique, le développement de l’économie du partage, […]
(Livre de Poche – Pages 134 & 135)

Et parmi ses « quatre ordonnances » [pour guérir], Bruno Patino en consacre deux à des sujets qui ont entièrement leur place à l’école, dès l’école fondamentale, car ils concernent aussi les enfants. Cela moyennant l’adaptation et la contextualisation pédagogique par les enseignants, dont c’est justement le métier. Et pour autant qu’ils s’approprient les thématiques et s’y impliquent bien entendu.

Expliquer. Les réseaux sociaux, qui sont entrés à l’école, pourraient en sortir pour être remplacés par l’apprentissage de leur bonne utilisation et de la façon de se préserver de leurs effets néfastes, des mécanismes d’addiction et des logiques de viralité. Exposer le continuum entre ce qui se passe en ligne et ce qui se passe dans ce que l’on appelle « la vie réelle » permet de faire comprendre que ce qui semble virtuel (plaisanteries, harcèlement, etc) ne le reste pas longtemps.

Ralentir. La reconquête du temps, de moments de silence sans interruptions et stimuli électroniques de l’espace permet d’amorcer un cercle vertueux. Les initiatives telle que SOL (Si On Lisait)1), qui promeuvent une demi-heure quotidienne de lecture obligatoire à l’école, ont vocation à sortir de leur nature d’expérimentation pour devenir des outils collectifs. Notre modèle de société est structurellement tourné vers l’accélération et toute mesure de ralentissement, dans quelque domaine que ce soit, l’information, les médias les conversations, en réseau ou non, la consommation même, est une mesure de résistance. C’est aussi une mesure de libération.
(Livre de Poche – Page 144 & 145)

Avis personnel

Le livre de Bruno Patino se lit rapidement et facilement (?). Il est intéressant dans la mesure où il fait une synthèse pertinente et « éclairée » sur le monde numérique, par certains aspects délétère, qu’ont engendré les plates-formes des géants de la Silicon Valley. Tout en recontextualisant l’histoire l’Internet et son utopie libertaire. Vu le passé professionnel de l’auteur, une partie du propos est orientée vers les questions de la place de l’information « journalistique » et des médias « traditionnels » de la presse sur l’Internet… Mais l’analyse est intéressante. D’autant plus qu’aujourd’hui force est de constater que, même les médias que l’on peut qualifier « d’intellectuels » semblent de plus en plus enclins à promouvoir à tout-va les réseaux sociaux, et Facebook en particulier, comme plates-formes incontournables pour toutes les interactions avec leur audience.

Un seul regret : dommage qu’à aucun moment Bruno Patino ne fasse référence aux solutions déjà existantes que sont par exemple les réseaux sociaux alternatifs, libres et décentralisés tels Diapora* ou Mastodon.

J’ai envie de laisser la conclusion à Chris Hughes, ancien bras droit de Mark Zuckerberg, cofondateur de Facebook, car elle renforce la critique développée par Bruno Patino dans son livre :

« Me voici alors que j’étais étudiant, et voici mon colocataire de l’époque, Mark Zuckerberg, ensemble nous avons fondé Facebook en 2004. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, je crois que Facebook est devenu trop gros, trop puissant. Chaque semaine charrie son lot de gros titres sur des violations de la vie privée, des ingérences dans les élections, des problèmes de santé mentale… Je ne fais plus partie de la compagnie depuis plus d’une décennie, mais je me sens responsable des dommages causés. Les Américains ont le droit de redresser la barre par le biais de leur gouvernement. Nous avons besoin de nouvelles réglementations. Il est temps de briser Facebook. »
Chris Hughes – Mai 2019 – The New York Times

« La civilisation du poisson rouge » est un livre à lire avant qu’il ne soit trop tard, que tous nos repères soient détruits, que nous sombrions trop profondément dans l’addiction… Il est encore temps de réagir !

— Erick Mascart – Le 12/08/2020


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livres/la_civilisation_du_poisson_rouge_-_bruno_patino.txt · Dernière modification : 2023/07/24 16:30 de Un utilisateur non connecté